Grande Enquête - Fanny Rosselin
- Fanny Rosselin
- 23 nov. 2022
- 17 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 janv. 2023
La "Grande Démission" made in France
Après les États-Unis et quelques pays d’Europe, c’est au tour de la France de vivre sa “Grande Démission”. Depuis le début de l’année 2022, 520 000 personnes ont démissionné de leur emploi. Un chiffre suffisant pour battre le dernier record datant de l’avant crise de 2008. Les salariés de tout âge revoient leurs exigences à la hausse, et en profitent durant cette reprise économique. La “Grande Démission” s’inscrit dans un contexte économique et social particulier.
Enquête sur la réalité de la “Grande Démission”.

Outre Atlantique, les termes “The Big Quit" ou bien “Great Resignation” font fureur depuis plusieurs mois. En France, cela pourrait se traduire par “Grand Remaniement” ou encore “Grande Démission”. Mais alors qu’est-ce que cela signifie ? Cette expression devenue virale aujourd’hui, est apparue pour la première fois en mai 2021. C’est Anthony Klotz, professeur de gestion à l’université de Londres, qui en est l’auteur. La “Grande Démission” est alors une tendance économique, en cours, dans laquelle les employés ont volontairement démissionné de leur emploi en masse, à partir de début 2021, de la suite de la pandémie du Covid-19. Quand une personne démissionne de son poste de travail, elle ne sort pas définitivement du monde du travail. Les démissionnaires ont pour objectif de retrouver un emploi.
Tous les secteurs sont touchés par ce phénomène. Mais le domaine de l’hôtellerie, de la restauration, de la santé… en réalité tout ce qui s’apparente aux services sont les plus meurtris, par cette vague de démission. Ce mouvement a pris de l’ampleur et s’est fait connaître aux yeux du monde en partie grâce aux réseaux sociaux. En 2021, des milliers d’Américains filment leur démission et publient leur vidéo sur TikTok, Facebook ou bien Instagram. Certaines ont dépassé plusieurs millions de vues.

Tout commence aux États-Unis, en 2021. Après la pandémie du Covid-19, des millions d’Américains ont revu leur priorités, et parfois ils décident de changer de métier, de vie et de façon de travailler… Peu importe la raison, mais ce n’est pas moins de 47 millions d'Américains qui ont démissionné de leur poste de travail fin 2021. Après ce raz de marée inédit, il y a eu 4,4 millions de démissionnaires rien qu’au mois d’avril 2022. A l’échelle des États-Unis, cette “Grande Démission” n’est pas anodine et elle a été très vite prise au sérieux. Dans d’autres pays, comme l’Australie par exemple, c’est la même chose. 709 500 australiens ont démissionné en novembre 2021, contre 644 300 depuis le début de l’année 2022. Au Royaume-Uni, un demi-million de personnes ont quitté leur travail.
Dans la majorité des pays touchés par ce mouvement, ce sont des jeunes qui sautent le pas et démissionnent sans pour autant quitter le monde du travail. Chez nos voisins anglais, ce sont les plus anciens qui quittent leur travail et prennent une retraite anticipée.

En France, 520 000 français ont démissionné depuis le début de l’année 2022. 400 000 d’entre eux étaient en CDI. Le taux de démission est monté à 2,7% cette année. Ces chiffres ne sont pas inédits, mais sont suffisants pour battre le record du nombre de démissions datant de la crise des Subprimes de 2008. La différence notable entre la France et les autres pays, c’est la raison pour laquelle les gens décident de démissionner. Beaucoup d’Américains ont quitté leur emploi sans avoir de plan B derrière, ni même chercher un autre job. Les Français, s’ils quittent leur emploi, c’est qu’ils ont trouvé une solution de repli. En effet, huit démissionnaires sur dix trouvent un nouveau travail dans les six mois qui suivent leur démission. Le marché du travail français est en bonne santé malgré cette “Grande Démission”. Pour certains spécialistes, cela est peut-être dû au plan France Relance. C’est un plan d’investissement et d’aides aux entreprises de 100 milliards d’euros. Ce plan incite les entreprises à ne pas licencier leurs employés, mais plutôt à recruter.
Le monde du travail français est en train de changer. Preuve en est, avec l’amendement 393 sorti le 30 septembre dernier. Depuis l’instauration de cet amendement, tout abandon de poste est considéré comme une démission. Cette décision qui fait grand bruit est mise en place, en vue du plein emploi, le rêve d’Emmanuel Macron. Selon les estimations du chef de l’État, ce rêve doit se réaliser avant 2025.
Le pouvoir entre les mains des salariés
Mais la pandémie de Covid-19 est passée par là. Elle a permis aux Français d’ouvrir les yeux. Beaucoup ont repensé à leur vie déjà parcourue et à leurs rêves encore enfouis. Les employés profitent de cette embellie économique pour demander une hausse de salaire, un nouveau poste au sein de l’entreprise ou encore plus de télétravail. S’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent, ils n’hésitent plus à claquer la porte puisqu’une autre s’ouvrira. Le pouvoir est entre les mains des salariés et non plus dans celles des patrons.

Malgré des chiffres et des témoignages, certains spécialistes ou journalistes ne croient pas en ce phénomène de “Grande Démission”. C’est le cas de Marie -Anne Dujarier, sociologue, chercheuse et professeure à l’université Paris Cité. Après avoir évoqué ce sujet dans une interview accordée au média Madame Figaro, son point de vue pouvait être intéressant pour cette enquête. Mais voici sa seule réponse, reçue par mail : "Je ne réponds plus à ces demandes de journalistes, car la grande démission est une rumeur injuste, violente et surtout totalement fausse, qu’il est temps de faire cesser – sauf si on veut bosser bénévolement pour les projets de « réforme », c’est-à-dire de suppression de la sécu. Où l’on constate que les journalistes ne vérifient presque jamais leurs sources.”

Le phénomène de la “Grande Démission” est très difficile à comparer. Le fonctionnement du marché du travail diffère entre chaque pays. Mais Nicolas Kayser-Bril insiste sur le fait qu’il est compliqué de dire que la “Grande Démission” existe, faute de chiffres concrets :
“Personnellement, j’ai entendu parler de cette “Grande Démission” et on m’a souvent interrogé sur le sujet, mais je n'ai pas trouvé d’éléments qui permettaient de dire qu’elle existait réellement. Ce n’est qu'un micro phénomène, porté principalement par quelques journalistes. Je n’ai aucun élément qui me permettrait de dire le contraire. On peut regarder combien de personnes ont démissionné, mais on ne sait pas combien ont démissionné pour prendre un autre job derrière. Ou bien parce qu’ils ont pris un ou deux mois de vacances mais qu’après, ils vont recommencer à travailler à temps plein.”
Les salariés prennent aussi conscience des tâches qu’ils réalisent durant leurs heures de travail. Beaucoup d’entre eux se sont rendu compte que certaines tâches n’étaient pas nécessaires, ni pour eux ni pour l’entreprise. C’est ce qu’on appelle des Bullshit Jobs. C’est une expression en anglais signifiant “emploi à la con”. Elle désigne des tâches inutiles, superficielles et vides de sens effectuées dans le monde du travail. Nicolas Bayser-Bril, data journaliste, qui a publié une enquête sur ce sujet en février 2021 permet d’y voir plus clair. “J’ai été confronté dans ma carrière à de nombreux Bullshit jobs et je voulais savoir pourquoi j’avais été confronté à ça et pourquoi des millions d’autres personnes étaient dans le même cas. (...) Comme je le raconte, la mission qui m’était confiée n’avait pas de sens, quelle que soit la manière dont on la retournait. Et donc j’ai dû me débrouiller pour trouver, moi-même, le sens du travail que j'accomplissais. Pour moi le bull shit job ça ne peut pas être l’ensemble des activités d’une personne. Il s’agit vraiment de tâches précises, on ne peut pas dire que quelqu’un est entièrement inutile pour une organisation ou que quelqu’un d’autre soit entièrement utile. Pour autant, supprimer les Bullshit jobs “ne doit pas être un objectif de société”. |

A contrario, Gaël Chatelain Berry, ancien DRH chez TF1 et Canal+ et désormais coach en management, se réjouit de cette “Grande Démission” bien réelle. Pour lui, c’est une bonne chose que les salariés reprennent le pouvoir : « C'est le chômage qui baisse et les salariés qui ont le choix, après plus de 30 ans de chômage de masse où en fait les salariés n'ont pas trop le choix. Et on passe d'un paradis où les chefs pouvaient dire « si tu n’es pas content, il y en a 10 qui veulent ton boulot » à un paradis qui est le suivant, les salariés qui parlent à leur manager « si tu me reparles encore une fois comme ça il y en a 10 qui va me recruter ».
Il répond aux personnes ne croyant pas ou ne voulant pas croire à cette “Grande Démission” :
« Ils sont rigolos parce que s'il y a bien un boulot où effectivement, il n’y a pas ce mouvement-là, c’est le journalisme. Si vous interrogez n'importe quel DRH, je peux vous dire que c'est un mouvement de panique absolument globalisé. »
Ce changement a aussi lieu sur les sites d'offres d’emploi. LinkedIn, Indeed et Welcome To The Jungle sont les plateformes sur lesquelles les personnes en recherche d’emploi se rendent en premier. C’est facile, puisqu’il est possible de candidater depuis son ordinateur ou son téléphone, à n’importe quel moment de la journée. Avec cette “Grande Démission”, des milliers d’annonces sont postées, chaque jour, par des DRH ou des patrons. Certaines sont plus alléchantes que d’autres.
Photo 1 : capture d’écran LinkedIn Smallable
Photo 2 : Crédit : Capture d’écran Indeed FAPEC SA
Photo 3 : capture d’écran LinkedIn de la DGSE
Actuellement, il y a de plus en plus d’annonces de nouvel emploi et donc il est beaucoup plus simple de signer un nouveau contrat. La recherche d’emploi est devenue un vrai business pour de nombreuses entreprises. Par exemple, le site Leboncoin, qui permet de publier des petites annonces en tous genres, à créer une rubrique “offre d’emploi”. Le marché du travail français évolue et tout est bon pour surfer sur cette vague.
Crédit : Fanny Rosselin
Au-delà des sites d'offres d’emploi, le sujet de la “Grande Démission” est très médiatisé en France. Les médias ont beaucoup illustré cette actualité par des chiffres et des graphiques… sans pour autant s'intéresser aux gens qui font ce choix, celui d’une vie.
Recherche d’un équilibre entre vie pro-vie perso
À cause de la crise du Covid-19, les gens veulent changer de cap. Ils veulent trouver un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Les demandes sont parfois jugées "too much" par les entreprises. Une hausse de salaire, du travail hybride, le respect de la vie privée et surtout moins de disparités avec leur manager sont les nouvelles volontés des salariés. Mais alors pourquoi tous ces changements ? La demande de hausse de salaire est due à l’inflation actuelle. Les postes en télétravail permettent de travailler de chez soi tout en étant “moins” surveillé par ses supérieurs. Mais c’est avant tout le respect de chacun, salariés et patrons, qui est souhaité. Les gens savent dire “non” de nos jours. Les plus jeunes, en âge de travailler, ont beaucoup plus de mal à accepter le fait d’avoir un patron et de travailler pour lui pendant des décennies. Les générations Y et Z ne veulent pas reproduire le même modèle que leurs parents ou grands-parents. D’après une étude Deloitte Millenial Survey, 53% des 18-25 ans prévoient de quitter leur poste dans l’année. 36% des 25-35 ans sont dans le même cas. Cette génération veut changer très souvent d’environnement.
Et pourtant, le CDI, la voiture de société, le bureau à la Défense… cela faisait rêver une grande majorité de Français à l’époque. Mais ce n’est plus le cas. Les jeunes aspirent à de nouvelles ambitions, tout en respectant leurs convictions. L’idée est très répandue chez les jeunes. Preuve en est avec le film “Ruptures” d'Arthur Gosset et Hélène Cloître. Le couple de réalisateur a suivi six jeunes, sortis de grandes écoles et promis à un bel avenir. Mais ces derniers ont décidé de ne pas suivre leur chemin, qui était déjà tout tracé par leurs parents ou par la société.
Un chemin tout tracé que Brice, jeune Français parti vivre au Canada pour ses études, n’a suivi. Il raconte son histoire, que de plus en plus de jeunes vivent en 2022.
« Je suis né sur l'île de la Réunion. J’y ai vécu 17 ans là-bas, j'ai étudié un bac S et après, j’ai eu mon bac. Après ça, j’ai pris l'avion et je suis allé habiter au Canada où je suis allé étudier là-bas 3 ans, en effet spéciaux et animation 3D synthèse d'image. J'ai étudié de 2016 à 2019 en effet spéciaux et à la fin de mes études, j'ai travaillé chez Rodéo FX la compagnie d’effets spéciaux au Québec, je fais un an là-bas. Ensuite, j’ai déménagé à Montréal en 2020 et j'ai travaillé après chez la société Squeeze animation studio 3D jusqu'en mai 2021 et c'est là que j’ai quitté mon travail pour me lancer à mon compte. »
Il revient sur le moment de sa démission et explique les raisons :
"La plus grande raison, je pense que c'est la liberté. C'est juste parce que j'ai perdu la passion de ce que je faisais en termes d'effets spéciaux. (...) Je voulais aussi dans ma jeunesse pouvoir voyager, pouvoir faire un peu ce que je voulais de mes journées sans devoir me lever le matin. Donc c'était une question de liberté et d'épanouissement.” Aujourd’hui Brice est beaucoup plus heureux et ne regrette pas son choix : "Aujourd'hui, j'ai une agence de marketing et de conseil d'affaires, donc c’est quelque chose que j'ai appris sur internet. C'est plus dur que ce que je faisais avant mais comme je travaille pour moi de ce fait je ne ressens pas la charge de travail. Et le rythme me convient largement mieux.”
Une expérience unique
C’est aussi le cas de Jade qui a tout quitté pour vivre une nouvelle expérience : « Je préfère vraiment être traductrice. Là, ce n’est pas du tout le métier (hôtellerie) qui m'intéressait, c'est complètement l’expérience de partir un an dans un endroit que je ne connais pas du tout et rencontrer de nouvelles personnes. Puisque dans l’hôtellerie, il y a ce côté où on vit tous ensemble, il y a plein de saisonniers de mon âge… Là, c’est pour un an ou deux ans et après j’essaierais de pratiquer à nouveau la traduction. »

Durant cette épreuve, la jeune femme de 25 ans a fait face à de nombreuses critiques : « Je l’ai beaucoup ressenti les critiques, surtout quand je discutais avec des personnes de mon ancien travail. Tous les adultes qui me disaient « mais tu es jeune, on vient de t’offrir un emploi et tu vas déjà partir… Nous, ça fait 50 ans qu’on est dans la même entreprise, on n’aurait jamais osé faire ça… » Et moi, j’ai l’impression, que maintenant, les jeunes, dès qu’on a une nouvelle opportunité, ça ne nous dérange pas d’aller en avant, de quitter ce qu’on avait parce qu’on sait qu’on trouvera toujours quelque chose. » Dans un premier temps, son choix de vie n’a pas été compris : “En fait, les gens ne comprennent pas qu’on ait d’autres ambitions personnelles, qu’on quitte tout ce qu’on a, nos proches, notre famille. On m’a dit « mais tu vas laisser ta mère, tu vas laisser tout le monde… » Après, on n’a pas essayé de me faire changer d’avis parce qu’ils savaient que dans tous les cas, j’avais pris ma décision et que rien n’allait me faire changer d’avis. Mais oui, il y a plein de gens qui n’ont pas compris mon choix en me disant « mais pourquoi tu ne peux pas te satisfaire de la vie normale que tout le monde a ? »"
Les raisons pour lesquelles les personnes démissionnent de leur emploi ne sont pas toujours pour un meilleur avenir. Après plusieurs mois de pandémie, et donc de confinement, la santé mentale des Français s’est dégradée. Certains salariés quittent leur job à cause de problèmes de santé. Les causes sont propres à chacun : harcèlement au travail, management toxique, racisme, inégalité entre les hommes et les femmes… Il y a autant de raisons que de personnes souffrantes. Ce sujet, trop souvent tabou dans la société et dans le monde du travail, est pourtant central en 2022. Si un employé ne se sent pas bien, alors il ne produira pas du bon travail. Françoise François, fondatrice et présidente de l’association “Maison Souffrance et Travail”, évoque son point de vue :


“Le monde du travail est en crise ! En grande souffrance même, et bien avant le covid. Je pense que la crise du covid, ça a permis de retirer la poussière qu’il y avait sous le tapis. Avec le stress, les gens ont peur. Et ce que j’observe aussi, c’est la montée du racisme. Mais aussi les incompréhensions, les intolérances, la maltraitance, le non-respect, ... Il n'y a plus de règle en fait.”
Cette association a permis à des milliers de patients de se sentir mieux après avoir vécu le pire. Pour soigner ce mal-être, Françoise François a créé des groupes de parole. Plusieurs patients se réunissent autour d’une table et racontent leur histoire. Ce n’est pas obligatoire et cela se fait sur la base du volontariat. Mais ces réunions permettent de mettre des mots sur les souffrances psychologiques au travail et leurs conséquences destructrices. “Du point de vue de la clinique, j’ai fait assez vite le constat, que quand on libère la parole en collectif, la prise en charge est plus rapide. Les gens racontent leurs histoires, ils s'aperçoivent qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ce qu’ils sont en train de vivre. Donc c’est plutôt assez rassurant.”
Crédit : Fanny Rosselin
Il existe plusieurs associations de ce type en France, mais elles ne font pas partie d’un collectif. Cela montre qu’il y a donc une réelle demande depuis des années.
La démission, le grand saut
Malgré ces milliers de démissionnaires, nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à sauter le pas. Ils restent dans une spirale infernale, un endroit où ils ne se sentent pas à leur place. Par manque d’argent, de responsabilités, de courage… beaucoup gardent leur travail. Faute de pouvoir le quitter définitivement, les gens pratiquent le “Silence Quitting". Un mouvement, dans le mouvement de la “Grande Démission”. Le “Silence Quitting” traduit par “démission silencieuse”, est une application du zèle dans laquelle les employés travaillent pendant les heures de travail définies. Ils s’engagent dans des activités liées au travail uniquement durant ces heures. Les adeptes de la démission silencieuse sont tous les jours plus nombreux, notamment sur les réseaux sociaux.
L’idée principale est de respecter scrupuleusement ses horaires de travail, de ne répondre à aucun mail, ni appel téléphonique professionnel en dehors des horaires et aussi ne plus accepter de nouvelles responsabilités et tâches supplémentaires. C’est tout simplement faire le strict minimum. Pour certains, le but final est de se faire renvoyer et non de démissionner. Dans le monde du travail, les plus jeunes prônent le fait de ralentir la cadence de travail pour se préserver mentalement.
Des regrets et des doutes
Même si la majorité des démissions se passent bien. Quelques salariés regrettent tout de même leur choix. Ils sont partis voir si l’herbe était plus verte ailleurs, mais ont été déçus. Alors que faire dans cette situation ? Est-ce qu’ils peuvent revenir dans l’entreprise à qui ils ont claqué la porte ? C’est le cas de deux salariés de l’entreprise Projetlys, à Lyon. Il y a quelques mois, ils ont tous les deux fait le choix de quitter cette entreprise pour changer de vie professionnelle. Mais quelques mois plus tard, ils ont fait le choix de revenir. L’entreprise et les salariés concernés ont été contactés, mais n’ont pas donné suite.
C’est ce qu’on appelle des “salariés boomerang”. L’entreprise a fait le choix de les reprendre plutôt que de nouveaux candidats. Mais alors pourquoi ? Tout simplement, ce sont des salariés déjà formés et qui connaissent l’organisation interne de l’entreprise. C’est un gain de temps pour les DRH et les managers. Cependant, toutes les entreprises ne font pas ce choix-là. Quitter une entreprise et revenir juste après reste très mal vu en France. Si un employé quitte une entreprise c’est souvent pour toujours. Selon une étude d’UGK, les Français interrogés sont les plus en proie au regret contrairement à nos voisins européens. “6 sur 10 déclarent qu’ils étaient mieux dans leur ancien travail” selon UGK France. De plus, “le taux de boomerang est le plus bas en France et les managers y sont le moins enclins à envisager la réintégration de collaborateurs ayant démissionné.” A l’heure actuelle, il est davantage risqué de quitter son emploi. La première cause, c’est l’inflation qui touche tout le monde. Démissionner reste un “luxe” que tout le monde ne peut se permettre. Les médias anglophones parlent alors de “Great Regret” ou bien “Great Rethink” en échos à la “Grande Démission”.
Les Français deviennent auto-entrepreneurs
Avec cette volonté de créer son propre futur, sans patron, l’envie de créer sa propre entreprise et de devenir indépendant à la côte en France… Depuis l’année 2021, 995 000 entreprises se sont créées. C'est 30% de plus en un an, un exploit en pleine crise économique. Le modèle de l'auto-entreprenariat est donc le préféré des Français. Selon l'étude Gotoinvest, les Français choisissent l'aventure entrepreneuriale pour deux raisons. La première, c'est qu'il est très simple de créer sa propre entreprise grâces aux initiatives des gouvernements Macron. La loi PACTE, la baisse de l'impôt sur les sociétés, la hausse des avantages fiscaux et sociaux des auto-entrepreneurs... tout cela donne envie de se lancer. La seconde, c'est évidemment le choc qu'à provoquer la pandémie du Covid-19. Cela a impacté les mentalités et les besoins des personnes.
Le statut d'auto-entrepreneur est très attirant, car il permet une certaine indépendance, mais il est aussi très limité. Voici les 5 raisons selon Forbes :
"Il ne permet pas d'accéder à certaines aides de l'État
Le Chiffre d'Affaires (CA) ne doit pas dépasser un certain seuil annuel, auquel cas l'entreprise change de structure juridique et de régime fiscal
Si l'auto-entrepreneur souhaite valider un trimestre de retraite ou toucher des aides sociales, il devra obtenir un CA minimum : 7800 euros de CA à l'année pour cotiser 2 trimestres de retraite en 2021
Le contexte économique impacte fortement la micro-entreprise : seuls 10% des auto-entrepreneurs ont atteint 60% de leur CA précédent à la suite du deuxième confinement
Les salaires que se versent les auto-entrepreneurs sont généralement très faibles : 75% d'entre eux ne touchent pas plus de 330 euros par mois"

Marie-Hélène Duchemin, économiste et maître de conférences à l’Université de Rouen, explique que malgré les difficultés, il ne faut pas hésiter à se lancer : « Créer son entreprise, de toute façon cela enrichit quelle que soit l'issue. Je veux dire que si c'est un message soldé par un échec, ça ne sera que bénéfique. On a trop appris en France à ce que le critère de réussite soit le critère numéro un, le culte du diplôme, le culte de la réussite… donc c'est difficile.” Il suffit de choisir le bon modèle pour entreprendre.

L’économiste rappelle tout de même que dans la société française, il est difficile de créer une entreprise, notamment à cause de notre éducation trop basée sur le salariat : “Aujourd'hui en France, on est formaté à tout bout de champ pour être salarié et pas pour être entrepreneur et dès l'école primaire, on nous apprend à être sage à l'école… je ne dis pas qu'il faut être indiscipliné, mais les règles de conduite d'apprentissage, les matières apprises et enseigner jusqu'à la fin du parcours universitaire sont faites pour le salariat, et non pas pour l'entrepreneuriat. Donc pour moi tout est fait pour rester dans une culture du salariat.”
Raibed et Fatiha Tahri étaient tous deux infirmiers il y a encore quelques mois. Ils ont tout quitté pour ouvrir leur propre entreprise. Après avoir parcouru le monde, le couple a décidé de créer des billes de biscuits aux saveurs parfois étonnantes.

Raibed Thari a décidé de raconter son évolution et comment il a vécu l'entrée dans le monde de l’entrepreneuriat : "L’entrepreneuriat en France est hyper soutenu, c’est canon. Il y a beaucoup d’aides qui sont mises en place. Il y a beaucoup d’accompagnement pour les entrepreneurs. L’état a vraiment investi là-dessus.” Leur façon de travailler a aussi évolué :
“Les gens ont mis en place aujourd’hui un nouveau mode de travail. Aujourd’hui, les deux tiers de nos équipes qui sont en full remote, donc ils bossent de chez eux en télétravail. Oui, le jeu a changé drastiquement. Le covid, ça a été un déclencheur énorme à ce niveau-là. C’est ça qui a tout bousculé. On le voit quand on embauche, la première question, c’est « est-ce qu’il y a du télétravail ? ».
“On est numéro 2 mondial du Burn Out !”
Les entreprises appellent ce phénomène de “Grande Démission”, “des départs non maîtrisés”. Les entreprises subissent ce mouvement depuis plusieurs mois et veulent à nouveau maîtriser le départ de leurs employés. Mais alors comment les retenir ? Les employés sont actuellement les maîtres du jeu. Cette “Grande Démission” leur permet de tirer parti de leur poste actuel. Les employeurs doivent miser sur une nouvelle culture. Le bien-être au travail est devenu un sujet central de ces dernières années. Le travail doit devenir une “safe place” et non plus un lieu de stress permanent, sans ça leurs salariés partiront voir ailleurs sans difficulté.
Les entreprises manquent cruellement de réaction, confie Gaël Chatelain Berry “Ça fait des années que je parle de management bienveillant et je n’ai pas attendu le covid et ce qu’il se passe en ce moment pour parler de ça. Il aura fallu la vague de suicide chez Renault et chez France Télécom en 2008 pour qu'enfin, on commence à parler de qualité de vie au travail. On est l'un des derniers pays européens à parler de ça et on est en 2008. Il aura fallu attendre la « Grande Démission », ajoutée au covid, pour que les gens se disent qu'on a peut-être un problème de management. On est numéro deux mondial du Burn out et ça fait des années qu'on le sait.”
Le télétravail est apparu lors de la crise du Covid-19 pour les Français, salariés ou patrons. Après une longue adaptation, le télétravail a charmé ses utilisateurs et il est désormais présent au sein des métiers où il est possible de l’exercer. C’est aussi devenu un critère très demandé par les candidats répondant à des annonces d’offres d’emploi. Aujourd’hui, un Français qui peut pratiquer le télétravail, le fait 2 à 3 jours par semaine. Mais avant d’en arriver là, les entreprises ont eu du mal à autoriser le travail dit “hybride”. Certaines ont même pensé à revenir au modèle d’avant covid, c'est-à-dire travailler du bureau 5 jours par semaine. Impossible puisque l’expérience du télétravail vécue pendant les différents confinements fait qu’il est difficile de revenir en arrière. Mais selon une étude Paris Workplace, “les Parisiens se distinguent (par rapport à leur voisin européen) par leur attachement au bureau”. 62% d’entre eux préfèrent travailler au bureau, qui est synonyme de vie sociale. Une façon de penser assez urbaine. |
Même si le marché du travail est très attractif actuellement, plusieurs domaines ont beaucoup de mal à recruter. C’est le cas de l’hôtellerie, de la restauration, du BTP et de la communication. Des milliers d’emplois sont à pourvoir, mais les candidats ne se présentent pas en quantité. Malgré tout, selon la DARES, le nombre d’embauches à augmenter ces derniers mois.

Et après ?
Ce phénomène de “Grande Démission” peut durer en France, et au-delà des frontières. Les évolutions sont plus rapides en fonction des pays, de la mentalité des sociétés et des salariés. Le monde du travail est en train de vivre une révolution.
Une dernière question se pose concernant le “Big Quit”, est-ce qu’il existe une limite à ce mouvement ? Combien de temps cela va durer ? Tant de questions qui n’ont pas encore de réponse. Il faudra attendre la publication des chiffres des différentes instances des pays pour tirer un bilan sur l’année 2022, et aussi se préparer pour 2023.
Fanny Rosselin,
Le 14 décembre 2022
Sources :
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